Peut-on avoir une foi rayonnante dans le monde actuel ?
Réflexion
à partir de saint François de Sales
Aujourd’hui de nombreux chrétiens craignent d’être
engloutis dans les eaux troubles d’une laïcité étriquée et mal comprise et dans
les gouffres d’une société profondément en crise. De récents événements
politiques et mondiaux nous rappellent que la voix des chrétiens n’est pas
écoutée, que leur foi n’est pas respectée et que nombre d’entre eux sont
persécutés dans différents pays. Face à une post-modernité qui a banni toute
référence à Dieu, peut-on encore conserver et communiquer aux autres une foi
rayonnante ? La foi est une lumière qui doit rayonner aux yeux de tous et ne
peut rester cachée sous le boisseau (Mt 5, 15). Même le philosophe Nietzsche disait
que les chrétiens devraient être reconnus au rayonnement de leur foi en Jésus
ressuscité : «Je
croirais en leur dieu, affirmait-il, s’ils avaient l’air un peu plus sauvés ».
Saint François de Sales, avec une
pointe d’humour, dénonçait déjà en son temps la dévotion tristounette de
certaines âmes pieuses. Dans son Introduction
à la vie dévote il confiait à sa Philothée : « Ainsi le monde
raille autant qu’il peut la sainte dévotion, dépeignant les personnes dévotes
avec un visage fâcheux, triste et chagrin, et accusant la dévotion de causer
des humeurs mélancoliques et insupportables (IVD, introduction, chap. 2) ».
Nous ne parviendrons pas à
changer la tristesse du monde, certes, mais nous pouvons faire beaucoup pour
nous-mêmes : combattre notre tristesse, nos découragements, nos peurs,
notre pessimisme, et notre façon étroite de concevoir la vie chrétienne. Le
retour indéniable du moralisme, du légalisme, du conservatisme religieux est
symptomatique du malaise dont souffrent certains catholiques. Nos actions
parlent au monde plus que nos paroles, si celles-ci sont vraiment imprégnées de
l’amour de Dieu. Le témoignage chrétien est celui d’un cœur heureux de croire
et d’aimer.
Le rayonnement de la foi de François de Sales se fonde,
d'abord et avant tout, sur une expérience fondatrice et fondamentale pour
chacun de nous : savoir que nous sommes aimés, aimés d’un amour infini et
éternel, comme il l’expliquait à Philothée :
« Méditez l'amour dont Dieu vous
a éternellement aimée. Avant même qu’en son humanité Notre-Seigneur Jésus-Christ souffrit sur la croix, Sa divine Majesté, en
sa souveraine
bonté, avait déjà sur vous un projet, et vous aimait du plus grand amour. Quand commença-t-il à
vous aimer ? Quand il commença à être Dieu. Et quand commença-t-il à être Dieu ? Jamais, car il l'a toujours
été, sans commencement ni fin. Il vous a donc toujours aimée de toute éternité.
Les grâces et les faveurs dont il vous
a comblée, déjà
il les préparait. Ne l'affirme-t-il pas au prophète Jérémie : « Je t’aime d’un
amour éternel, aussi je te garde ma fidélité ». C'est donc lui qui vous a inspiré la résolution de le servir,
et tant d'autres choses encore. Ô Dieu, que sont donc ces résolutions, si vous-même
y avez pensé de toute éternité, et, pour nous, en avez formé le projet ! Qu'elles doivent nous être chères ! Soyons
prêts à tout souffrir plutôt que d’en abandonner une seule, le monde devrait-il
en périr, car le monde entier ne vaut pas une âme et une âme ne vaut rien sans
ses résolutions ! » (IVD, V, 14).
Si j’admets volontiers que Dieu puisse aimer l'humanité entière
et tout homme en particulier, en revanche, j’ai de la peine à comprendre que je
suis aimé, moi aussi, d’un amour sans limites et jusque dans ma faiblesse et
mon péché. Mais il n'est pas si simple, fait encore remarquer saint
François de Sales, de passer du « Dieu nous aime » à « Dieu m'aime
personnellement ». Certes, il n'est pas évident d'imaginer que le Dieu infini
ait posé son regard sur moi, personnellement, depuis toujours et depuis toute
éternité. Cela me semble si irréaliste en raison de ce que je suis réellement :
il faut du temps pour se laisser aimer ! Être aimé est, en effet,
plus vital encore qu’aimer. II est curieux d’affirmer cela alors qu’on insiste
tant sur la nécessité d’aimer son prochain. Oublierions-nous le grand commandement
de l’amour : «Tu aimeras ton prochain comme un autre toi-même ? ». Ceci est le premier des commandements
proclamés par Jésus. Mais pouvons-nous vraiment aimer nos frères si nous
n’avons pas reçu, nous-mêmes, ce don d’amour et de tendresse ? Avant
de le partager avec les autres, nous devons donc le recevoir et savoir que nous
sommes aimés. Pour François de Sales, l’amour est l’aspiration première du cœur
humain. C’est donc cette l’expérience fondamentale – l’amour de Dieu et l’amour
du prochain - qui est à la base de la foi rayonnante du saint évêque de Genève.
Nous allons voir comment cette foi vive
et lumineuse se traduit en actes.
La foi de notre Saint n’est ni
frileuse, ni triste, et sa dévotion n’est pas une dévotionnette pour âmes
mielleuses ou timorées. Sa foi, qui le garde toujours ouvert à Dieu et aux
autres, nous enseigne à devenir des chrétiens à la foi rayonnante et joyeuse. François
croit en un Dieu incarné dans l’Homme, quel qu’il soit. Quel contraste avec la
vision de certains cathos, fâcheux et
renfrognés, qui diabolisent ceux qui ne pensent pas comme eux, ceux qui ne
partagent pas notre foi et que nous avons vocation d’aimer…
La foi de l’évêque de Genève n’est pas
seulement rayonnante, elle est aussi agissante. Le saint pasteur ne reculera
devant aucun danger pour témoigner de l’Évangile. Parfois, au péril de sa vie,
il évangélise et ramène dans le giron de l’Église ceux qui, de son troupeau,
s’étaient éloignés du bercail. François prêche et touche tous les cœurs parce
qu’il rappelle à chacun qu’il est aimé de Dieu. Dans son prêche vous
n’entendrez ni condamnations ni anathèmes, mais une douce exhortation
paternelle qui invite chacun à se laisser aimer par Dieu. Le saint évêque, qui
nous incite à combattre les turpitudes et les injustices de notre société, veut
que nous aimions tout homme, parce qu’il est enfant de Dieu, parce qu’il est notre
frère.
On reproche parfois aux chrétiens d’avoir
une foi immature, qui les conditionne à voir tout en rose, une foi béate,
éthérée et en décalage par rapport aux réalités du monde. Saint François, âme
sensible et émotive, se penche avec compassion sur les dures réalités des hommes
de son temps, mais pas comme celui qui reste le genou à terre et qui s’apitoie
sur son propre sort. Sa foi a les yeux de l’amour : il regarde le monde
avec espérance, et malgré toutes les difficultés qu’il rencontrera dans sa vie,
il restera à jamais confiant en l’homme et éperdument amoureux de Dieu.
Cette foi rayonnante et agissante,
tire sa sève de la Croix, là où Jésus a montré qu’il nous aimait plus que
lui-même et jusqu’au bout. Oui, la foi nous demande d’aller jusqu’au bout du
chemin, sans peurs, et dans l’offrande totale de nous-mêmes. Saint François
nous dit encore : « Cheminez dans la lumière de Dieu et vivez en son amour : que rien ne
soit regardé qu’en cette lumière, ni aimé qu’en cet amour » (Œ XV, 11).
Padre Gilles
(Reproduction permise avec mention de l’auteur)
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