« Il vaut mieux pencher du côté de la charité que de l’austérité [1] »
Saint François constate que le jeûne, bienfaisant au corps et à l’esprit, n’a que des effets bénéfiques pour la vie spirituelle. « Le jeûne fortifie l’esprit, mortifie la chair et la sensualité, élève l’âme vers Dieu, rabaisse la concupiscence, donne la force de vaincre et d’éteindre ses passions ; enfin, il dispose le cœur à ne chercher que ce qu’il plaît à Dieu [2] ». Le jeûne doit être pratiqué de bon cœur, sans vanité ni hypocrisie et en se plaçant sous le regard de Dieu pour accomplir sa volonté [3]. Le saint évêque de Genève, qui désirait que la pratique du jeûne soit libre, sincère et humble rappelle que le jeûne ne doit pas s’appliquer à l’estomac seul, mais aussi à tous les autres sens. N’est-il pas hypocrite de priver notre estomac alors que notre langue continue à s’agiter sans frein ni contrôle? « Préparez-vous à jeûner avec charité car si votre jeûne est pratiqué sans charité, il est vain et inutile, et n’est point agréé par Dieu [4] ».
Chez François de Sales prévaut toujours l’équilibre et le bon sens. Il n’autorise pas que l’on jeûne contre l’avis du médecin [5] ; il demande aussi que l’on sache remplacer le jeûne par une autre pénitence, lorsque les circonstances ne s’y prêtent pas. Un jour, alors qu’un prélat était en visite chez François de Sales à Annecy, ce dernier alla prévenir son hôte que le souper était prêt. « Souper, répondit le prélat, je ne souperai pas aujourd’hui, car le moins que l’on puisse faire, c’est de jeûner une fois par semaine ! » François, aussitôt, lui fit porter une collation [6] et alla souper avec ses aumôniers. « Voyez-vous, leur dit-il, il ne faut pas être attaché à ses pratiques, même les plus pieuses, au point de ne pas savoir les interrompre quelques fois : autrement, sous prétexte de fidélité, il s’y glisse un subtil amour propre. Le jeûne, lorsque les circonstances le permettent, peut être renvoyé à un autre jour ; on peut aussi le remplacer par la condescendance, qui est fille de la charité, et qui doit lui être préférée [7] ».
Saint François recommande le discernement dans la pénitence. Celui qui a un travail pénible ne doit pas épuiser ses forces : « Le jeûne et le travail, pratiqués conjointement, brisent et abattent le corps. Si le travail que vous faites vous est nécessaire, ou s’il est pour la gloire de Dieu, je préfère que vous souffriez de la peine du travail, plutôt que de celle du jeûne. C’est d’ailleurs le sentiment de l’Église : pour les travaux qui sont au service de Dieu ou du prochain, elle dispense même du jeûne prescrit. L’un a de la peine à jeûner ; l’autre à servir les malades, à visiter les prisonniers, à confesser, à prêcher. Cette peine-ci vaut mieux que celle-là car, outre le fait qu’elle maîtrise aussi le corps, elle porte de bien meilleurs fruits. En règle générale, il est préférable de garder un peu plus de forces physiques qu’il n’est nécessaire, que d’en ruiner plus qu’il ne faut. Car on pourra toujours en perdre ; on ne pourra pas toujours en retrouver [8] ». Saint François est sage. Il ne propose pas le jeûne pour le jeûne, mais un jeûne bien “nourri” de l’amour de Dieu !
Père Gilles
[1] Entretiens, in Œuvres complètes VI, 308.
[2] Sermon pour le mercredi des Cendres (№ LIV), in Œ X, 182.
[3] Idem, 182, ss.
[4] Idem, 185.
[5] Lettre à C. de Crépy (CCLXXXI) in Œ XIII, 36.
[6] La collation est un repas très léger qui ne supprime pas le jeune mais en atténue les rigueurs.
[7] Déposition au procès de béatification de Jeanne de Chantal, art. 28, p. 76.
[8] Introduction à la vie dévote, Œ III, 218-219.
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