La peur du diable : pour ne plus trembler face au démon, Gilles Jeanguenin, Éditions Emmanuel, mai 2017, 12 euros.
Après la polémique suscitée autour des propos du
supérieur général des jésuites, considérant Satan comme un "symbole",
une mise au point s’impose. Le diable existe-t-il ? Quelle est la part
de vérité dans l’arsenal des représentations terrifiantes issues du
Moyen Âge qui hantent aujourd’hui encore l’imaginaire collectif ?
Le père Arturo Sosa a affirmé, dans une interview accordée le 31 mai au quotidien espagnol El Mundo, que
Satan était « une figure symbolique » créée par les hommes. Le pape
François au contraire soutient que le diable n’est pas une simple vue de
l’esprit : « On a fait croire que le Diable est un mythe, une image,
l’idée du mal. Mais le Diable existe et nous devons lutter contre lui. » Dans son récent ouvrage La peur du diable, pour ne plus trembler face au démon,
le prêtre exorciste Gilles Jeanguenin décortique le syndrome de la peur
du diable pour inviter le lecteur à un travail de discernement
spirituel et à la confiance en Dieu.
1- Faut-il avoir peur du diable ?
Le diable existe réellement comme l’enseignent les Écritures : « Par la jalousie du diable, la mort est entrée dans le monde » (Sg 2, 24).
Le Prince des ténèbres est présent dans le monde depuis sa rébellion
contre Dieu, mais il n’a comme pouvoir que celui que nous lui donnons.
La peur est l’émotion la plus forte et la plus ancienne que connaisse
l’humanité. Elle sert de signal d’alarme dont la fonction est d’attirer
l’attention sur la présence d’un danger. La peur, émotion saine au
départ, devient malsaine lorsqu’elle fait l’objet d’une fixation durable
(obsessions et phobies). Bien souvent le sentiment de culpabilité
engendre l’angoisse et devient le terreau fertile où la peur du diable
s’enracine et se développe. Pour l’auteur habitué à rencontrer des
personnes obsédées par le mal, il est possible de guérir de ses peurs en
restaurant la confiance, en nous, en autrui, en Dieu.
2- L’imaginaire démoniaque est en grande partie issue du Moyen Âge
La peur paralysante du diable remonte au Moyen Âge. Au cours des XIe et XIIe
siècles, le démon quitte l’abstraction théologique pour se transformer
en un monstre laid, grotesque et ridicule inondant l’iconographie et
l’architecture chrétiennes dans le but d’imposer un certain ordre moral
et la crainte de l’enfer. Les innombrables fléaux, s’abattant sur
l’Europe du XIIIe au XVIIe,
contribuent à créer une véritable psychose collective et à exacerber
des superstitions profondément ancrées dans les esprits des fidèles
tétanisés par l’angoisse eschatologique. En effet, en temps de guerres,
de famines, de misères, les pauvres gens, réclamant des responsables,
s’en prennent au diable et à tous ceux par qui ils pensent que le mal
arrive : les femmes, les lépreux, les sorciers, les étrangers… Les
bûchers et la « chasse aux sorcières » servent alors de pédagogie de
masse pour renforcer la cohésion sociale. L’obsession fanatique du
diable est entretenue par les clercs et les tribunaux laïques qui, en
voulant ramener les égarés au sein de l’Église, ont fait, sans le
savoir, le succès et la popularité du diable et, du même coup, ont accru
l’angoisse chez les croyants.
3- Quels sont les pouvoirs réels du démon ?
Le grand vainqueur de la période
sanglante des guerres de Religion est sans aucun doute Satan lui-même
qui a vu avec délectation la haine des hommes travailler à son profit.
Mais en réalité le Malin n’a que très peu de pouvoir : il se sert de la
crédulité, du doute des croyants et des sceptiques qui le flattent par
le témoignage d’un si vif intérêt. Le premier ressort dont il dispose
est le pouvoir de fascination qu’il exerce sur les personnes
désespérées. Aujourd’hui sur fond de crise d’identité religieuse, les
médias surfent sur la fascination et l’engouement malsain pour le monde
diabolique, ce qui ne fait qu’accroître les peurs. Autre ressort : la
tentation ; la figure de Satan captive parce qu’elle incarne tout ce que
l’homme rêve de posséder : pouvoir, gloire, jouissance, richesse,
réussite matérielle… Le démon peut agir sur l’imagination ou sur les
sens mais il n’a aucun pouvoir sur la liberté. Il peut influencer un
raisonnement, ou affaiblir la volonté mais il lui est impossible de
prendre le contrôle du cerveau ou de pénétrer l’intime des pensées.
4- Les antidotes contre la peur du diable
Dans son ouvrage, l’exorciste délivre
des antidotes pour se libérer des peurs du diable : « C’est grâce au
rire, à l’humour, à la dérision, mais surtout grâce à la confiance que
nous parviendrons à apprivoiser nos peurs et à retrouver la joie du cœur
et de l’esprit. […] Retrouver la confiance en soi, en l’autre, en Dieu,
c’est le baume dont nous avons tous besoin, dont a besoin notre société
pour repartir courageusement et regarder vers l’avenir avec plus de
sérénité. » Rien de tel que l’humour pour « exorciser » les peurs,
oublier les angoisses et se redonner du courage. Celui qui sourit de ses
propres faiblesses reconnaît alors ses limites et se libère du poids de
l’anxiété. Les démons ne s’en prennent qu’à ceux qui les craignent ;
s’ils nous épouvantent c’est parce que nous leurs avons accordé trop
d’importance. Pour ne pas avoir d’ennui avec les démons, il faut les
mépriser, les ignorer.
5- « Quant à nous, nous aimons parce que Dieu lui-même nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19)
Mais en définitive, le seul et unique
rempart contre le démon est Jésus-Christ. En revêtant notre humanité, le
Verbe a fait Lui-même l’expérience de l’angoisse et de la tentation.
Par amour, Jésus ne s’est pas soustrait à la peur et l’a éprouvée sous
toutes ses formes : incompréhension, solitude, abandon, trahison,
angoisse de la mort. En se rapprochant de Jésus, en le rencontrant
intimement, il est possible de contrôler ses émotions et ses peurs, car
la confiance que Dieu inspire permet de vaincre toute forme d’anxiété.
La confiance découle de la certitude d’être aimé : « Il n’y a pas de
crainte dans l’amour, l’amour parfait bannit la crainte ; car la crainte
implique un châtiment, et celui qui reste dans la crainte n’a pas
atteint la perfection de l’amour » (1 Jn 4, 18).
Pour en finir avec la peur
irrationnelle du diable, nous pouvons lire ce beau poème de sainte
Thérèse d’Avila et raffermir notre confiance en Dieu :
« Que rien ne te trouble,
Que rien ne t’épouvante,
tout passe,
Dieu ne change pas,
La patience obtient tout ;
Celui qui possède Dieu
Ne manque de rien :
Dieu seul suffit. »
Clotilde Rudent |
10 juillet 2017 pour Aleteia